Souvenirs de l’icosaèdre

La vérité est ailleurs

Février 2020, mon blocage s’apprêtait à fêter son premier anniversaire. À ce moment-là, je réfléchissais à ce que je devais écrire, ce qu’il fallait développer comme nouveau projet pour me sortir de là ; et, contre absolument aucune attente, le déclic n’arrivait jamais. À force de me mettre la pression, je passais gentiment du blocage à la paralysie complète.

Dans ma quête un peu débile du prochain bijou de littérature, je cherchais plutôt un concept ou une forme originale qu’une idée qui fasse vendre (je ne sais pas du tout ce qui fait vendre, et heureusement, sinon j’aurais sûrement poussé la débilité encore plus loin). Mais le problème était le même : j’anticipais la façon dont ce nouveau projet serait reçu par les autres. Je ne voulais pas sortir de ma zone de confort pour ma progression personnelle, mais pour épater un lectorat qui n’existait même pas encore. Pourtant, je crois qu’une histoire résonne mieux chez les lecteurs si elle vibre d’abord chez son auteur.

(Cela dit, on peut arriver à ce résultat même sous la contrainte : peu importe d’où vient l’idée (inspiration divine, contrat de commande, challenges d’écriture), ce qui compte c’est comment on s’en empare ; dans mon cas, impossible me forcer à entamer un projet qui ne me fait pas frémir la cervelle à toute heure du jour et parfois de la nuit, surtout pas quand je cherche à sortir d’un blocage.)

Je me suis alors posé une question : et si j’écrivais ce que j’avais envie de lire ? Mieux : ce que j’avais besoin de lire. Oui, renversant, hein ? C’est un conseil qu’on croise souvent et qui semble couler de source, pourtant j’ai vu la lumière dorée et entendu les harpes de la Révélation au moment où je l’ai sérieusement considéré (alors que j’avais toujours suivi ce principe jusque-là). Dès que je me suis tournée vers moi-même pour déterminer ce dont j’avais envie et besoin, je me suis sentie libérée d’un sacré gros poids.

Et là, tout s’est enchaîné très vite : j’ai brassé plein de thèmes, décortiqué les œuvres qui avaient façonné mon imagination pour essayer de comprendre ce qui m’avait marquée – et pourquoi –, exploré des dizaines de pistes ou d’impasses, passé des heures en recherches inutiles mais passionnantes, rassemblé de la musique et des images inspirantes ; et en quelques semaines, j’avais assez de matière, de guides scénaristiques et surtout de passion frénétique pour me lancer dans ce nouveau projet : Souvenirs de l’icosaèdre.

Qui ne connaît pas la légende du triangle des Bermudes ? Le récit de la mystérieuse disparition d’Amelia Earhart au-dessus du Pacifique ?

Début 2020, la perte inexpliquée d’un paquebot vient ajouter à l’inquiétante réputation des « vile vortices », ces tourbillons piégeux qui, selon les théories les plus farfelues, dissimuleraient des portes vers une dimension parallèle. Frankie McKenna, membre de l’Observatoire zététique, est chargée d’enquêter.

Célestine Londo pourrait lui confirmer que tout est vrai si elle ne se trouvait pas elle-même à bord du bateau envolé. Survivante du naufrage qui l’a bel et bien emportée loin de sa réalité, elle découvre un monde à vingt faces où d’illustres disparus et d’inquiétants autochtones cohabitent dans un temps suspendu, entre espoirs d’évasion et crainte du dehors.

Deux d’entre eux sont d’ailleurs prêts à tout pour s’échapper de l’icosaèdre ; même à déchirer le voile entre les mondes.

première partie disponible sur Plume d’Argent.

Ce roman hybride est né d’une très vieille fanfiction (je suis adepte du recyclage, et si ça vous intéresse, je pourrai vous parler de ce travail d’adaptation dans un prochain article – si ça ne vous intéresse pas, je le ferai quand même). Forcément, j’y projetais mon affection pour les séries qui l’ont inspirée, mais aussi toute l’énergie injectée dans sa rédaction pendant ma jeunesse scripturale fougueuse et décomplexée, et toute la nostalgie qui y reste attachée aujourd’hui. J’y ai aussi mis beaucoup de mes craintes actuelles : la prolifération des complots, le manque de confiance envers la science, la place des croyances dans un monde où il est de plus en plus difficile de rêver.

Dix mois et deux confinements plus tard, ce roman de 148 000 mots est terminé, relu, et la première passe de corrections est faite. Il m’aura accompagnée pendant les trop nombreuses difficultés de cette année, m’aura parfois servi de bouée, souvent d’échappatoire, et je suis convaincue qu’aucun projet « devoir » ne m’aurait offert ça.

Alors écrivez ce que vous avez envie de lire ; personne ne le fera aussi bien que vous.